Et puis un jour...

Et puis un jour…

Je me souviens, c'était un lundi… un lundi matin…



Comme tous les autres.

Le réveil avait sonné. En mode automatique, je m'étais levée… Je m'étais remémoré ce qui m'attendait ce jour-là: une réunion extérieure, des dossiers qu'il fallait finir de traiter, des mails auxquels il fallait que je réponde… Ces tâches à effectuer avaient tourné dans ma tête tout le week-end.

J'avais apprêté mon corps: hygiène corporelle, hygiène alimentaire, vêtements appropriés pour la situation (robe noire, veste style Chanel, joli collier, bottes noires). Tenue sobre mais assez chic pour la réunion extérieure. J'avais soigné la coiffure et le maquillage.

Avant de partir, j'avais préparé comme tous les jours de travail, mon repas du midi, sagement organisé dans son récipient hermétique, ma bouteille d'eau pour la journée…
Tous ces rituels de départs matinaux répétés depuis des années…

Je suis sortie de la maison. J'ai fermé la porte à clef sans faire trop de bruit: mon amour dormait encore.

J'ai inséré la clef dans la serrure de la voiture, entrouvert la portière… et tout est devenu noir…

J'ai glissé…

Lentement…

J'ai rouvert les yeux… Je me suis surprise à être assise dans la voiture… depuis combien de temps, aucune idée…

J'avais l'impression de découvrir l'intérieur de ma voiture, les moindres petits détails… les grains de poussière sur le tableau de bord, la minuscule figurine à ventouse offerte par mon fils déposée dans le petit vide poche, le jeton pour le chariot de courses dans le petit compartiment monnayeur…

La portière était ouverte, mes jambes à l'extérieur, mon sac était tombé sur le trottoir…

Fugacement, j'ai eu l'impression de m'être désincarnée, d'observer la scène depuis ailleurs, plus haut…

Que c'était-il passé ? On était quel jour ?
Lundi… c'était lundi… je devais partir au travail…

Mais là, comme une évidence: JE NE PEUX PAS… JE N’Y ARRIVE PAS
Je me suis rassemblée: mes affaires, mon sac, mon repas, mes jambes, mon esprit… lorsque tout ça a pu se remettre en mouvement, je me suis dirigée vers la maison, ai rouvert la porte… Mon coeur battait la chamade…

Mon Amour s'était levé, il haussait les sourcils “tu as oublié quelque chose ?”

“non “
“je peux pas y aller… je me suis sentie mal… j'ai le coeur qui cogne…” “je n'y arrive pas “

Il avait dû comprendre que quelque chose ne tournait pas rond… Je ne me souviens pas qu’il ait posé beaucoup de questions...

“Téléphone au médecin… vas te changer, mets toi à l'aise “

Je ne me suis pas reconnue dans le miroir… pourtant quelques instants avant je l'avais fardé ce visage… Mais là, j'avais l'impression d'être face à un masque de théâtre : trop poudré, les traits d’expression trop marqués… ce n'était pas moi, pas possible… cette femme au visage en papier mâché…

Les filtres de l'inconscient, qui nous permettent de nous regarder chaque jour dans le miroir en occultant tous les détails que l'on ne veut pas voir, étaient tombés… Je me découvrais telle que j'étais…

Le regard vide. Terne. Eteint. On dit que le regard est le reflet de l'âme…
J'étais donc éteinte…

Je me suis changée, je me suis installée dans le canapé. J’aurais voulu qu'il m'engloutisse toute entière… Je ne me souviens pas bien du restant de la journée…
J’ai dû sombrer dans une sorte de torpeur réconfortante.

Quand je suis entrée dans le cabinet du médecin, il n’a pas fallu bien longtemps pour que je m'effondre. Il a rapidement mis le doigt là où ça fait mal.
“Le travail ? Comment ça va ces derniers temps ?”
“Ohhhhh… c'est compliqué docteur”
“C'est compliqué… c'est à dire ?”
S’en est suivi un long déballage au milieu des sanglots. Le mal de crâne qui me saisissait à nouveau, me serrant les tempes dans un étau… les palpitations accompagnant l'évocation de mes nuits émaillées de cauchemars, de mails non traités, de dossiers pas encore ficelés…
“Vous avez besoin de repos… il faut compter au minimum trois semaines…”

En rentrant à la maison, j'ai regardé l'arrêt de travail… en bas, dans la case où le médecin met son commentaire, il était écrit “syndrome d'épuisement professionnel”

Je n'ai pas compris.

C’est plus tard que j'ai tapé ces mots dans le moteur de recherche sur mon smartphone et que j'ai découvert leur véritable signification.

Il m’en a fallu du temps pour l’admettre, pour comprendre le lent processus qui m’avait mené à cet état… et il m’en a fallu du temps, et il m’en faudra encore pour remonter à la surface et pour comprendre tous les tenants et les aboutissants...

Je ne serai plus jamais la même, ça je le sais. Et heureusement… certainement pour moi… Il m’a fallu me réapproprier délicatement ma vie : personnelle, familiale, et enfin professionnelle. Arriver à concilier tout, tout en lâchant un peu sur tout. Prendre (enfin) du temps pour moi… Il me reste encore bien du chemin à parcourir, et je reste prudente.

Le fait de mettre des mots sur le ressenti est important également pour ma reconstruction ; partager mon expérience me semble important : peut-être que certain(e)s vont être interpellé(e)s, vont se reconnaître ou encore reconnaître quelqu’un de leur entourage.


Commentaires

  1. Oh oui...
    Et ce jour là, qui a suivi les autres qui lui ressemblaient, heureusement qu'il y a eu un compagnon pour ne pas juger, un membre du corps médical pour comprendre, d'autres pour aider, au fil du temps, retrouver le sommeil, relativiser. Et désapprendre, se reconstruire. C'est un long chemin, il y a parfois de min rechutes, mais on sait mieux ce qui es bon, et s'il y a un doute, réfléchir et ne pas faire plaisir parce qu'on est ainsi programmé.

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